Par Atilio A. Boron.
Argentin, docteur en philosophie de l'Université Harvard, professeur de théorie politique à l'Université de Buenos Aires, chercheur au CONICET (Conseil national de la recherche scientifique et technique) et secrétaire exécutif du Conseil latinoaméricain des sciences sociales (CLACSO). Il est aussi membre du Conseil international du Forum social mondial de Porto Alegre.
LES 85 ANS DE FIDEL
Fidel, lucide comme toujours et plus sage que jamais. Le temps qui passe, qu'il a accompagné d'une remarquable capacité de réflexion sur les vicissitudes de la vie et du monde, l'a enrichi d'une manière extraordinaire. Son regard, qui a toujours eu la faculté de plonger dans une perspective historique et universelle, en est devenu plus perçant : Fidel voit où les autres ne voient pas, et ce qu'il voit, c'est l'essence – non l'apparence. García Márquez a raison lorsqu'il dit qu'il est «incapable de concevoir une idée quelconque qui ne soit pas démesurée».
Libéré de toutes ses charges à la tête de la Révolution cubaine, il continue d'être, sans le moindre doute, “le Commandant”. Non seulement du glorieux “Mouvement du 26 juillet” ou des Forces Armées Révolutionnaires cubaines, mais aussi d'une armée mondiale de femmes et hommes qui luttent pour leur vie, leur dignité et la survie du genre humain aujourd'hui menacée par un arsenal nucléaire d'incalculables proportions -une infinie portion de celui-ci suffirait pour détruire toute forme de vie sur la planète Terre. Survie également compromise par la furie prédatrice d'un système capitaliste qui convertit tout ce qu'il touche en marchandise, en un simple objet dont l'unique objectif est d'engendrer un profit.
A la faveur de cette vision d'aigle -que Lénine reconnut en son temps chez Rosa Luxembourg-, il a pu dénoncer, de manière presque solitaire, la crise écologique qui nous afflige aujourd'hui ainsi que les dangers de la démentielle course aux armements déclenchée par l'impérialisme nord-américain. D'aucuns se rappelleront certainement son intervention au Premier Sommet de la Terre, à Rio de Janeiro, en 1992, quand le Commandant a mis en garde contre le risque écologique que courait déjà la planète. Alors que le président nord-américain George Bush refusait de signer les protocoles de Rio, Fidel dénonçait le fait qu'“Une importante espèce biologique est en danger d'extinction par la rapide et progressive disparition de ses conditions naturelles de vie : l'homme”.
Et il poursuivait son analyse en disant que la surconsommation effrénée et le gaspillage irrationnel favorisés par l'économie capitaliste sont les responsables fondamentaux de cette situation: “Avec seulement 20 pour cent de la population mondiale, ... [le capitalisme de la métropole] consomme les deux tiers de l'énergie produite dans le monde. Il a empoisonné l'air, a affaibli et percé la couche d'ozone, a saturé l'atmosphère de gaz qui changent les conditions climatiques et ont des effets catastrophiques que nous commençons déjà à subir. Les forêts disparaissent, les déserts s'étendent, des milliers de millions de tonnes de terres fertiles échouent chaque année dans la mer. De nombreuses espèces sont en voie d'extinction. La pression démographique et la pauvreté conduisent à des efforts désespérés pour survivre aux dépens de la Nature. Il n'est pas possible d'en blâmer les pays du Tiers Monde, hier colonies, aujourd'hui nations exploitées et pillées par un ordre économique mondial injuste.” Bien sûr, ses paroles furent ignorées par la quasi-totalité des chefs d'État y présents –qui se rappelle maintenant de leurs noms? –, qui continuèrent à danser sans scrupules sur le pont du Titanic.
Sage comme peu, Fidel se demandait, dans ce même discours: “Lorsque les prétendues menaces du Communisme ont disparu et qu'il ne reste plus de prétextes à guerres froides, courses à l'armement et dépenses militaires, qu'est-ce qui empêche de consacrer immédiatement ces ressources à promouvoir le développement du Tiers Monde et combattre la menace de destruction écologique de la Planète?” Il va de soi qu'il connaissait parfaitement bien la réponse, telle qu'il l'expliquera des milliers de fois : l'empêchement réside dans l'essence même du capitalisme en tant que système, sous la forme actuelle de l'impérialisme.
Lucide et valeureux combattant de ce fléau, dans la pratique mais aussi sur le plan des idées, Fidel a dénoncé ces horreurs déjà avant l'attaque de la Moncada et son extraordinaire plaidoirie d'autodéfense. A la fois témoin et protagoniste exceptionnel du lent mais inexorable déclin de l'impérialisme nord-américain, ses initiatives pratiques ainsi que ses réflexions didactiques offrent aux peuples un très riche arsenal d'idées et d'informations, recueillies avec une minutie digne de Darwin, sachant que, pour changer la réalité complexe de notre temps, des schémas tout faits ou des simplifications abusives ne valent rien.
Déchargé de ses charges officielles, l'infatigable soldat continue de lutter sans merci dans la cruciale “bataille des idées” -un front que la gauche a lamentablement négligé pendant longtemps, mais qui compte maintenant avec de nombreux combattants. Et il illumine le chemin de l'espérance vers l'émancipation humaine et sociale. Comme dit la chanson populaire mexicaine : “Heureux anniversaire, et longue vie”, Fidel !
Traduction Thierry Pignolet pour Tlaxcala.
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