Blog politique de réflexion et d'information de Bernard Tornare orienté en grande partie vers l'Amérique latine, principalement sur le thème de la Révolution bolivarienne au Venezuela. Selon l'actualité, cependant, d'autres sujets peuvent y être abordés. Ce blog n'est pas neutre. Malgré sa partialité et son inclination idéologique, il essaye d'être objectif.

L'Afrique: acteur du nouvel ordre mondial

par Bernard Tornare 1 Mars 2024, 11:01

Titre original : Remettre en question l’ordre mondial : le rôle de l’Afrique dans la construction d’un nouvel avenir

Le monde a besoin de plus de voix en faveur d’un nouvel ordre mondial

Par Mohamed Kheir Omer

Pendant mon adolescence dans les années 1970, nos principales sources d’information et de divertissement étaient la radio, le cinéma et les livres. J'avais une prédilection particulière pour aller au cinéma. Les films de cowboy mettant en scène des colons blancs en conflit avec les propriétaires fonciers indigènes (les « Indiens rouges ») étaient particulièrement populaires à cette époque. Dans ces récits, le colon blanc, représenté comme le héros, triomphait souvent des peuples autochtones dits « sauvages ». C'était une fin « heureuse » pour la plupart d'entre nous. Nos réactions étaient une manifestation claire d’un endoctrinement culturel, nous conditionnant subtilement à considérer les figures blanches comme des héroïques. C'était un exemple frappant de la domination culturelle de l'Occident, qui influençait nos perceptions et nos compréhensions dès notre plus jeune âge.

Nous voyons actuellement un président américain de 81 ans, Biden, briguer un second mandat malgré ses problèmes de santé. Le fait que Biden soit toujours au pouvoir et soit en lice pour un second mandat ne semble pas être une grande préoccupation pour les médias mondiaux et les établissements politiques du monde occidental. Pourtant, un dirigeant africain du même âge est souvent jugé inacceptable. Dans d’autres cas, nous félicitons un dirigeant occidental qui brigue plusieurs mandats, comme l’Allemande Angela Merkel, mais un dirigeant africain qui fait de même est un dictateur. Ce double standard reflète des préjugés plus larges enracinés dans les récits mondiaux.

Tout en reconnaissant les contributions de l’Occident au développement humain, il est indéniable que leur domination actuelle – économique, politique, technologique et militaire – s’est souvent faite au détriment du progrès de l’Afrique et des pays du Sud. Nous adhérons à leurs versions des élections et à leurs perceptions de la démocratie et des droits de l’homme, mais rien n’a révélé l’hypocrisie, la faillite morale et le double standard de l’Occident actuel que ses réactions contradictoires à la guerre entre la Russie et l’Ukraine et à la guerre israélienne contre Gaza. L’effondrement de l’ordre mondial actuel, qui trouve sa légitimité dans des valeurs occidentales prétendument supérieures, a un côté positif. L’Afrique a la possibilité de prendre la place qui lui revient dans la redéfinition d’un ordre international fondé sur des règles auquel tous, sans exception, doivent se conformer.

Les premiers centres de civilisation de l'Afrique

La marginalisation de l’Afrique et du Sud dans l’établissement de l’ordre mondial actuel est principalement due au fait que la plupart des pays africains étaient encore sous occupation et colonialisme au moment de la création des Nations Unies, donnant ainsi des pouvoirs écrasants au Conseil de sécurité, vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, en particulier ceux qui excellaient dans les puissances nucléaires. La domination de ces puissances ne reposait pas seulement sur la puissance militaire mais aussi sur une domination culturelle, politique et économique. À l’époque, l’Afrique était décrite comme une terre arriérée et non civilisée. Mais cette déformation de la réalité de l'Afrique et le déni de sa contribution au développement humain ne pourraient être plus éloignés de la vérité.

L’Afrique et les pays du Sud ont joué un rôle central dans le développement des civilisations humaines, avec des contributions qui ont façonné le monde de manière significative. La civilisation mésopotamienne, bien qu'elle ne se trouve pas en Afrique, est réputée pour ses inventions révolutionnaires, telles que l'écriture (cunéiforme), la roue et l'établissement de villes et de lois, ainsi que pour ses systèmes politiques avancés. En se concentrant sur l’Afrique, elle a été le berceau de diverses civilisations qui ont laissé des marques indélébiles sur l’histoire et la culture mondiales.

La civilisation égyptienne, par exemple, qui a existé entre 3 100 et 30 avant notre ère, est célèbre pour ses pyramides, ses momies, ses écritures hiéroglyphiques, son architecture monumentale et ses profondes contributions à la religion et à l’art. Le royaume de Kouch, dans l'actuel Soudan, rivalisait avec l'Égypte avec ses pyramides remarquables et ses formidables prouesses militaires. Carthage, située dans l'actuelle Tunisie, est devenue une puissance maritime et commerciale dominante en Méditerranée occidentale avant sa défaite finale face à Rome. L'Empire du Mali, célèbre pour la ville de Tombouctou, est devenu une plaque tournante du savoir, du commerce et de l'Islam. De même, l’empire Songhaï se distinguait par sa richesse, notamment en or, et son rôle dans la diffusion de l’islam dans toute l’Afrique de l’Ouest.

L'empire Axoumite, situé dans ce qui est aujourd'hui l'Érythrée et le nord de l'Éthiopie, se distingue par ses obélisques monumentaux et son adoption précoce du christianisme. L'Empire du Bénin, dans ce qui est aujourd'hui le Nigeria, était prééminent pour ses réalisations artistiques, notamment en matière de sculptures en bronze. Ces civilisations africaines ont contribué de manière significative non seulement à la riche histoire du continent, mais également au patrimoine mondial plus large, mettant en valeur les avancées sociétales, culturelles et technologiques avancées.

Tous ces exemples fournissent la base culturelle, historique et intellectuelle permettant aux pays africains de reconquérir leur place dans le concert des nations. En d’autres termes, les Africains avaient et ont encore beaucoup à offrir à ce monde en termes de valeurs qui sous-tendront l’ordre international fondé sur des règles dans le monde multipolaire émergent. Il ne faudrait pas s’étonner si la vision africaine du monde rejette vigoureusement la vision du monde actuelle et dominante, qui fait l’éloge des colons blancs au détriment des « sauvages » indigènes.

Valeurs morales africaines

Les sociétés africaines ont historiquement fait preuve d’une hospitalité et d’une ouverture remarquables envers les étrangers, notamment les explorateurs, les commerçants et les missionnaires européens, leur offrant souvent de précieux cadeaux. Cependant, ces vertus ont été exploitées par les puissances coloniales, conduisant à l’assujettissement et à l’exploitation du continent dans le cadre de programmes impérialistes. Aujourd’hui, alors que le monde occidental devient de plus en plus inhospitalier envers les étrangers, l’Afrique peut à nouveau offrir une manière alternative de gérer l’immigration en faisant preuve de la même hospitalité et de la même ouverture envers les étrangers. Le Rwanda, avec sa politique d’exemption de visa pour les Africains et de visa à l’arrivée pour les autres peuples du monde, et son attitude accueillante envers les demandeurs d’asile de Libye, d’Afghanistan et du Royaume-Uni, est un bon exemple des valeurs que devraient adopter les pays africains, épouser et pratiquer.

En parlant de résilience morale, les nations et les dirigeants africains ont été à l’avant-garde des mouvements de libération, de décolonisation et de lutte contre l’apartheid malgré de nombreux défis. Aujourd’hui, ils s’opposent toujours à l’oppression malgré les effets du néocolonialisme et le sabotage économique des institutions financières mondiales. Ces derniers temps, les pays africains se font de plus en plus entendre dans les forums internationaux, plaidant en faveur de l’équité, de la justice et de l’équité sur des questions mondiales telles que les relations internationales, le changement climatique et le développement économique. Des exemples notables incluent la position de l'Afrique du Sud contre Israël et le cas de la Gambie contre le Myanmar, reflétant l'affirmation de soi et le leadership croissant de l'Afrique sur la scène mondiale. De toute évidence, le monde a besoin de plus de voix en faveur d’un nouvel ordre mondial.

Faire face à la domination occidentale

Surmonter la domination des pays occidentaux dans les domaines mondiaux tels que l’économie, la politique, l’armée, la technologie et l’informatique nécessite une approche stratégique, à plusieurs volets et soutenue de la part des pays du Sud, y compris du continent africain. Sur le plan économique, les pays africains devraient se concentrer sur la diversification de leurs économies, passant d’une dépendance aux matières premières à des investissements dans des industries à forte valeur ajoutée basées sur la connaissance. Cela comprend le développement de l’énergie durable, l’investissement dans la recherche et le développement (R&D), la promotion des écosystèmes d’innovation et la promotion de secteurs tels que la technologie, les énergies renouvelables et la fabrication de pointe.

En outre, la formation de blocs économiques et politiques plus forts peut renforcer le pouvoir de négociation des pays du Sud. Les organisations régionales peuvent aider à négocier des accords commerciaux, à faciliter des projets d'infrastructure communs et à coordonner les efforts diplomatiques pour renforcer la voix collective de l'Afrique. À cet égard, le succès potentiel des BRICS pourrait remettre en question l’ordre économique mondial actuel dirigé par les pays occidentaux.

L’éducation est vitale. Améliorer l’accès à une éducation de qualité, en particulier dans les domaines STEM, et promouvoir la formation professionnelle sont essentiels pour la compétitivité. Dépasser les modèles de développement traditionnels grâce à l’adoption de la technologie numérique, à l’expansion de l’accès à Internet et au soutien des startups technologiques locales peut accélérer les progrès.

Renforcer les capacités militaires, investir dans la cybersécurité et former des alliances militaires stratégiques peuvent protéger la souveraineté et contribuer à la sécurité mondiale.

Le développement de médias locaux et de plateformes de médias sociaux qui reflètent les cultures, les perspectives et les langues régionales peut diversifier les récits mondiaux. Des plateformes comme Al Jazeera et TikTok démontrent leur potentiel pour défier la domination des médias occidentaux en offrant des perspectives alternatives.

Tout en recherchant l'autonomie et une croissance diversifiée, il est également important de reconnaître les contributions de la technologie occidentale et du développement numérique, en visant un échange mondial équilibré d'idées et d'innovations.

De même, faire face à des problèmes existentiels tels que le changement climatique et ses effets dévastateurs sur les pays du Sud nécessite que toutes les régions du monde se complètent dans l’intérêt de l’humanité. En faisant référence à l’Occident, nous devons reconnaître que ce dernier est diversifié et que de nombreuses voix en son sein s’élèvent contre l’exploitation et l’injustice.

De toute évidence, un effort mondial est nécessaire pour promouvoir l’équité et valoriser toutes les vies humaines, sans distinction de race, de religion ou de culture. Mais cela ne peut être réalisé sans la contribution de l’Afrique.

Traduction Bernard Tornare

Source en anglais

Mohamed Kheir Omer est un auteur et chercheur basé en Norvège et se concentre sur les questions politiques africaines. Auparavant, il a été doyen du Collège d'agriculture et des sciences aquatiques de l'Université d'Asmara en Érythrée.