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L'Amérique latine dans la nouvelle économie mondiale

par Bernard Tornare 3 Avril 2022, 11:31

En Afrique et en Amérique du Sud, des pays comme le Kenya, l'Éthiopie ou l'Équateur sont ainsi devenus, en quelques années, les principaux fournisseurs de fleurs coupées – et notamment de roses – pour les marchés du Nord.  Le principal marché pour la production de fleurs équatoriennes est la Russie. Photo Fairtrade/Max Havelaar

En Afrique et en Amérique du Sud, des pays comme le Kenya, l'Éthiopie ou l'Équateur sont ainsi devenus, en quelques années, les principaux fournisseurs de fleurs coupées – et notamment de roses – pour les marchés du Nord. Le principal marché pour la production de fleurs équatoriennes est la Russie. Photo Fairtrade/Max Havelaar

Par Kawsachun News


Nous nous sommes entretenus avec l'économiste équatorien Juan Fernando Terán sur les sanctions occidentales, la guerre en Ukraine et la manière dont l'Amérique latine peut protéger son économie.

 

Qui paie le prix des sanctions occidentales contre la Russie ? L'industrie bananière équatorienne s'est effondrée sans le marché de consommation russe.


Juan F. Terán : Les pays qui exportent des denrées alimentaires et des produits agricoles sont aujourd'hui dans une position incroyablement difficile. L'Équateur, la Colombie, le Brésil et l'Argentine sont parmi les plus touchés. Ces pays importent presque toutes les fournitures dont ils ont besoin pour la production agricole : engrais, produits agrochimiques et même semences dans certains cas. Les sanctions ont interrompu ces approvisionnements. Nous aurions pu éviter cette situation.

 

L'Amérique latine a connu un âge d'or du développement et de l'intégration à l'époque de dirigeants tels que Correa, Evo Morales, Lula et d'autres. Au cours de ces années, de nombreux travaux ont été consacrés à la question de savoir comment la région pouvait commencer à produire ses propres approvisionnements agricoles. Il s'agissait d'un projet phare de l'UNASUR. L'objectif était de garantir la sécurité alimentaire face aux fluctuations des marchés internationaux. Il y avait également la proposition d'une banque à l'échelle de l'Amérique latine et d'une monnaie commune. Cela aurait pu aider l'économie de la région à survivre à la crise monétaire actuelle. 

 

Mais que se passe-t-il aujourd'hui ? Prenons le cas de l'Équateur : Nous avons deux sources principales de revenus dans les exportations. La première est le pétrole, logiquement, la guerre en Ukraine aurait dû être bénéfique car le prix du pétrole a augmenté ce qui devrait signifier plus de revenus des ventes pour l'Equateur. Cependant, le président conservateur Guillermo Lasso avait déjà promis au FMI le paiement des futures ventes de pétrole. Même si le prix du pétrole passe à 300 dollars, cela ne profitera pas aux citoyens ordinaires. 

 

Qu'en est-il de l'agriculture ?


Le pays gagne aussi beaucoup en exportant des produits comme les bananes, le café, les crevettes et les fleurs. Le principal marché pour la production de fleurs équatoriennes est la Russie. Aujourd'hui, ces producteurs sont confrontés à une crise dramatique car les sanctions les ont coupés de leurs clients. C'est une industrie énorme pour l'Équateur, dans la province de Pichincha et Cotopaxi, il y a des régions entières consacrées presque entièrement à la production de fleurs. Ils ont même des aéroports là-bas car ces fleurs sont exportées dans le monde entier par avion. Une petite partie de leur production va aux États-Unis et en Europe, mais la grande majorité va en Russie. La Russie est l'un des rares pays où les gens achètent des fleurs toute l'année et pas seulement pour certaines dates comme la Saint-Valentin. 

 

Qu'en est-il de nos exportations de crevettes, de café ou de cacao ? Tout cela nécessite des engrais et d'autres fournitures agricoles importés. Il y a maintenant une pénurie mondiale, la Russie était le premier producteur mondial et maintenant elle est sanctionnée.

 

Quelle a été la réponse du gouvernement ?


Les pays peuvent survivre à cette tempête s'ils ont un parapluie, mais l'Équateur n'a pas de gouvernement progressiste. Il a un gouvernement néolibéral. Notre économie n'a plus de parapluie désormais. 

 

Quelle a été la réponse néolibérale à cette crise actuelle ? Les producteurs de fleurs ont été les premiers à demander de l'aide. Ils ont demandé des prêts afin de pouvoir subvenir temporairement à leurs besoins pendant cette chute. Le président Lasso a répondu en disant que se lancer dans les affaires signifie assumer un risque et que l'État n'a aucune obligation de renflouer qui que ce soit. Cette idée de ne renflouer personne est une excellente idée à mon avis, mais seulement si elle est appliquée uniformément. Nous ne devrions pas avoir à renflouer les banquiers quand ils ont une crise, mais bien sûr, Guillermo Lasso n'abandonnera jamais son peuple. Il abandonne seulement les petits agriculteurs qui sont maintenant en crise.  

 

L'élection de gouvernements progressistes en Amérique latine n'est pas une question d'idéologie ; il s'agit aussi pour les citoyens de défendre leur économie et leur niveau de vie. Si un banquier parvient à gagner une élection, voilà le résultat. 

 

De nombreux pays considèrent désormais Washington comme un allié peu fiable et cherchent à commercer dans d'autres monnaies. Pensez-vous que le dollar américain va perdre son hégémonie internationale ? Qu'est-ce que cela signifierait pour l'Amérique latine ?


Lorsque les pays du BRICS commenceront à commercer entièrement en yuan, ou dans toute autre monnaie autre que le dollar, le monde changera vraiment. Je pense que nous pouvons nous attendre à voir cette transformation dans les cinq prochaines années. Cela représentera la défaite définitive de l'empire américain. L'histoire nous montre que la puissance militaire d'un pays est liée à la puissance de sa monnaie.

 

Lorsque la Grande-Bretagne régnait sur le monde, la livre sterling dominait le commerce international. Même la dette extérieure de l'Équateur était en livres sterling durant ces années. Les réserves de notre banque centrale étaient en livres sterling. Cette situation a pris fin après la fin de la Seconde Guerre mondiale, car les États-Unis sont devenus la nouvelle puissance dominante et ont créé les institutions financières et monétaires du monde à leurs propres fins. La guerre actuelle en Ukraine est également une question de monnaie. Les États-Unis participent à ce conflit contre la Russie parce qu'ils ont besoin de défendre la puissance du dollar. 


 

Que peut faire la région ?


L'Amérique latine doit lentement désolidariser notre région du dollar américain. Nous devons diversifier nos réserves monétaires internationales. Correa a commencé à le faire en Équateur en investissant dans des réserves d'or, ce qui a été critiqué par l'opposition de l'époque. Cependant, cette diversification ne peut se faire que si nous apportons les changements nécessaires à nos relations commerciales. Si nous devons commencer à constituer des réserves en yuan chinois, nous devons approfondir nos relations commerciales avec la Chine pour y parvenir. 

 

Je pense que nous devrions revenir à la proposition de l'UNASUR de créer une monnaie commune latino-américaine avec sa propre banque centrale. Nous avons également besoin d'un système de paiement latino-américain. Regardez comment les États-Unis utilisent SWIFT pour exclure de l'économie mondiale tout pays qui ne leur plaît pas. La Russie et la Chine créent leurs propres systèmes de paiement. Nous devrions aussi avoir le nôtre. 

 

Il ne sert à rien de se plaindre de l'agression américaine. C'est ce qu'ils font. Ils envahissent et attaquent des pays dans le monde entier. Le vrai problème est que l'Amérique latine est exposée et incapable de faire face à ce type de guerre économique. En réponse, nous devons nous tourner vers l'Asie de manière sérieuse. Pourquoi le gouvernement équatorien n'assure-t-il pas de nouveaux marchés pour nos crevettes et nos bananes en Chine ? Il y a une énorme demande là-bas. La Bolivie et l'Équateur possèdent tous deux de vastes richesses minérales. Nous devons contourner l'Occident et nous concentrer sur l'Asie en matière de commerce et d'investissement dans ces produits de base.

 

Les médias américains ont critiqué des pays comme le Mexique, le Brésil et l'Argentine pour ne pas avoir imposé leurs propres sanctions économiques à la Russie. Pensez-vous que cette demande capricieuse des États-Unis contribuera à briser davantage la sphère d'influence américaine ici et dans le reste du Sud ?


Ces sanctions provoquent une crise d'inflation pour les gens partout dans le monde. Les Européens paient 8-9 euros pour un gallon d'essence [Ndt : env. 4,5 litres] .Aux États-Unis, il est à 4,75 dollars, voire 6 dollars dans des endroits comme la Californie et Miami. C'est choquant. Les sanctions ont un effet boomerang sur les États-Unis et leurs citoyens. Bien que tout le monde ne souffre pas : Les fabricants d'armes ne souffrent pas. Des gens comme le fils de M. Biden, qui a des affaires louches dans le secteur du gaz, ne vont pas souffrir. 

 

Des rapports d'analyse financière ont été publiés cette semaine, indiquant que si le prix de l'essence reste à 4,75 dollars en moyenne nationale aux États-Unis, l'économie américaine entrera en récession à la fin de cette année. Rien de ce qu'ils font n'est raisonnable du point de vue des citoyens ordinaires.

 

Traduction Bernard Tornare

 

Source en anglais

 

Juan Fernando Terán est un économiste, professeur d'université et analyste équatorien basé à Quito. 
 

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