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Et le Venezuela?

par Bernard Tornare 12 Février 2018, 10:58

Caracas de nuit avec la silhouette de l'Avila en fond

Caracas de nuit avec la silhouette de l'Avila en fond

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Peut-on parler de populisme au Venezuela? Dans le contexte latino-américain, certainement, mais un populisme ancré dans une démarche de rassemblement pour prendre le pouvoir, le garder pour développer un projet émancipateur, dans un cadre démocratique, avec et pour le peuple.
 

C’est après le renversement du dictateur Pérez Jimenez à la fin des années 1950 qu’a émergé un type de populisme vénézuélien s’appuyant sur une démocratisation du système électoral remplaçant le régime oligarchique en place pour tenter de mettre le peuple en situation d’acteur. S’ensuit une véritable modernisation du pays rendue possible par les richesses générées par le pétrole. Le financement d’un secteur productif moderne et l’amélioration des conditions de vie de la population donnent le sentiment qu’une émancipation politique est à l’ordre du jour.


à partir des années 1980, les liens se distendent entre le peuple et les politiques, et de nouvelles figures émergent. Parmi elles, celle d’Hugo Chávez qui s’imposera vite, parce qu’il ne craint pas de prendre la défense du peuple contre les élites. Non issu des partis politiques traditionnels, il est empreint d’une véritable culture populaire qui fait que les catégories les plus défavorisée l’identifient comme un des leurs. En fait, il sut s’imposer dans le paysage politique comme un candidat de rupture avec des pratiques politiciennes classiques.

« Non issu des partis politiques traditionnels, Hugo Chávez est empreint d’une véritable culture populaire qui fait que les catégories les plus défavorisées l’identifient comme un des leurs. »

Sa rhétorique antisystème, agressive et parfois martiale, l’aidera à se démarquer des autres candidats, tout comme sa proposition de réforme électorale. D’importants changements vont s’opérer sous sa présidence, avec la mise en place d’une assemblée constituante et la refonte des institutions. Ils ouvriront la voie à l’instauration d’une nouvelle république basée sur une démocratie non plus représentative mais participative, couplée à un pouvoir moral et à un pouvoir citoyen. 


À partir des luttes, des organisations de base, indépendantes des anciennes organisations politiques de gauche, vont surgir, prenant principalement appui au départ sur le mouvement étudiant ou sur les quartiers défavorisés.


S’ouvre alors l’embryon d’un « pouvoir populaire » qui prendra au fil du temps une place significative. Chávez, même s’il n’en est pas l’initiateur, lui reconnaît un rôle important. L’action bolivarienne inclut des interactions originales, entre l’État, qui joue un rôle essentiel dans l’organisation de la société, et des organisations de base populaires reconnues qui ne transigeront pas sur leur autonomie ; de manière dynamique, elles développeront une pratique politique distincte de celle du pouvoir traditionnel.


Ces organisations de base mettront en œuvre une certaine démocratie participative dans laquelle les citoyens vénézuéliens, deviennent acteurs. Loin de la caricature d’un État chaviste qui contrôlerait les mouvements populaires, l’on assiste plutôt à une dépendance mutuelle, subtile, irrégulière, jamais statique mais toujours à l’œuvre.
En 2002 émergent de cette ébullition des conseils locaux de planification publique. Ils viendront concurrencer les mairies, définissant l’usage du sol à l’échelle des quartiers. En 2006, les conseils communaux coordonneront les diverses organisations de base populaire ayant à charge d’établir des projets d’aménagement locaux à partir de ressources directement versées par l’État central chaviste, volontariste dans l’affirmation du pouvoir populaire. Ces conseils seront les bases des « communes » (agglomérations de conseils communaux) puis de l’« État communal », qui se substituera aux vieilles institutions.

Un modèle « humaniste, autogestionnaire et compétitif » 
Dans le domaine économique, Chávez porte l’idée d’un modèle « humaniste, autogestionnaire et compétitif » pour répondre aux attentes sociales que les gouvernements précédents avaient ignorées. L’offre électorale séduit les classes sociales défavorisées et les classes moyennes paupérisées, particulièrement sensibles à l’instauration d’une démocratie participative où elles auraient un rôle actif et qui réduirait l’écart existant entre le peuple et ceux qui le gouvernent.

« Dans le domaine économique, Chávez porte l’idée d’un modèle « humaniste, autogestionnaire et compétitif » pour répondre aux attentes sociales que les gouvernements précédents avaient ignorées. »

Une fois au pouvoir, Chávez poursuivra son discours de rupture en développant une rhétorique opposant « ceux d’en bas à ceux d’en haut », aidé en cela par une opposition qui n’a de cesse de l’attaquer, lui permettant ainsi d’alimenter la polémique.


Son objectif est clair : ancrer la révolution bolivarienne dans la société vénézuélienne et ce, durablement. Ce qui explique certainement la confrontation persistante qu’il organise entre ceux qu’il appelle « eux », les ennemis – l’élite, les traîtres à la patrie, les oligarques, les contre-révolutionnaires, les corrompus –, et les amis, « nous » – le peuple, les sauveurs de la patrie, les bolivariens, le noble peuple de Simon Bolivar. Il s’affiche dans le droit fil des principes de rupture propres aux mouvements révolutionnaires qui cherchent le complot, l’ennemi intérieur ou extérieur et, en ça, il s’inscrit contre l’oligarchie, les élites, les États-Unis, le capitalisme, la mondialisation, etc.


Derrière cette démarche, les nombreuses convocations électorales et les grands meetings populaires lui permettent de cultiver l’idée de rassemblement autour du « leader qu’il est et de son mouvement ». Incontestablement, il apparaît comme un leader charismatique sur les pas d’un populisme latino-américain des années 1930 et 1960. Il n’hésite pas à se montrer sous un aspect protestataire, nationaliste, et à en appeler au peuple pour légitimer son action. 


Pour autant, il sait allier en permanence la question démocratique avec celle du projet émancipateur, sans jamais chercher à liquider l’opposition mais se voulant être la réponse au malaise des démocraties représentatives. 


Nicolás Maduro, son successeur, se retrouve confronté à l’impératif de faire perdurer cette révolution bolivarienne dans un contexte de crise accentuée par la baisse des coûts du pétrole et une pénurie organisée par le grand patronat. C’est sur ces difficultés qu’une droite extrême tente aujourd’hui d’ouvrir la voie à un populisme de droite en récupérant la souffrance sociale et en s’appuyant sur les basculements politiques opérés dans cette région du continent. Une ultra-droite qui n’hésite pas à organiser la violence pour opposer le peuple à lui-même et au pouvoir, et qui reprend à son compte certaines thématiques de Chávez pour les dévoyer.


C’est avant tout par l’arme démocratique que Maduro répond : nouvelle constituante, élections de gouverneurs régionaux avancées… La réponse du vote populaire sera cinglante pour l’opposition.

 

*Laurent Péréa est membre du conseil national du PCF, responsable adjoint des relations internationales.

Cause commune n° 3 - janvier/février 2018

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